Republication d'anciens articles que la nouvelle version d'overblog a jetés aux oubliettes...
J’admire particulièrement les femmes d’Anatolie car elles sont capables de soulever des montagnes. Au village, elles prennent en charge la plupart des travaux, la maison, les enfants, les champs, les animaux ; elles cousent, brodent, tricotent, portent leur un univers à bout de bras ; elles savent tout faire. Tout en parlant, sans même regarder leur ouvrage, elles font naître sous leurs doigts des rivières de fleurs, de fruits ou de motifs géométriques.
Quand elles s’installent à Istanbul, elles travaillent encore, se battent comme de petites guerrières pour faire étudier leurs filles et souvent, elles y arrivent. Elles ont compris une chose, c’est que la liberté des femmes passe par l’école puis par l’indépendance économique. Ces femmes-là, rien ni personne ne pourra les faire retourner en arrière ni les replonger dans un quelconque asservissement.
Mais dès que la vie citadine leur offre un instant de répit, leurs doigts de fées se remettent à faire danser le crochet avec le fil.
Brodeuses de foulard, j’aime les fleurs nées de vos rêves…
Ceux-la ont presque quatre-vingt-dix ans, ils ont été témoins de la naissance de la république turque
Ceux-la datent de l’époque ottomane, leur soie est si fragile qu’on craint de les manipuler.
Au sujet des foulards, le début de la nouvelle "Jülide", dans Mes Istamboulines (2010, Editions GiTa, en vente en France sur Amazon.fr et Ataturquie.fr) link
Cela faisait vingt-trois ans qu’elle préparait le trousseau de sa fille Jülide. Plus exactement, depuis le jour où cette seconde Jülide avait vu le jour, un an après que la première, une petite magnifique, n’eut été emportée par une maladie mystérieuse que l’on avait attribuée au mauvais œil.
Le trousseau contenait tout ce qu’une Anatolienne peut s’enorgueillir de confectionner pendant deux décennies, dessus de lit, draps brodés, serviettes de toilette gansées de dentelle, rideaux de cuisine, housses ouvragées pour les machines, napperons, plus une batterie de cuisine complète et un service en porcelaine. Au fil des ans, la collection s’était accrue de tous les cadeaux qu’elle avait pu recevoir. Chaque fois qu’on lui offrait un objet qu’elle trouvait joli, elle disait avec fierté : « Je le garde pour le trousseau de Jülide.» Son appartement d’Istanbul étant trop exigu, elle s’empressait chaque été de transporter au village, où elle partait en vacances, toute nouvelle pièce ajoutée au trésor. Il dormait dans des coffres de bois fermés à clé, si nombreux qu’on avait dû leur consacrer une chambre complète, elle-même soigneusement verrouillée.
Conserver, préserver, telle était sa devise. Il y avait aussi les cent vingt foulards de tête en étamine bordée de dentelle à l’aiguille. Elle se disait parfois que Jülide, élevée à Istanbul et habituée à y vivre tête nue, n’en aurait pas l’usage mais c’était un détail superflu, l’important était qu’on puisse les exposer le jour venu, avec le reste du trousseau, dans la maison du village où on se rendrait pour les noces. Et les voisines défileraient pour contempler ces merveilles.
Et chacun commenterait : « Voilà un trousseau de princesse ! »
Lien vers Mes Istamboulines sur Amazon.fr link
Ataturquie.fr link
En Turquie, Editions GiTa link
Lien vers le site Gisèle, Ecrivain français d’Istanbul link