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23 mai 2015 6 23 /05 /mai /2015 12:28

 Invitée par la professeure de l’Université de Galatasaray, Seza Yılancıoğlu, l’écrivaine algérienne Maïssa Bey a rencontré hier des étudiants ayant travaillé sur son œuvre et qui lui ont posé des questions.

Ayant eu le plaisir d’avoir été invitée à cette journée, je communique donc aux lecteurs de Maïssa Bey le contenu, non exhaustif, des notes que j’ai prises lors de son intervention, en espérant ne trahir ni ses paroles ni sa pensée...

Maïssa Bey photographiée par l'étudiante Seda Kesova

Maïssa Bey photographiée par l'étudiante Seda Kesova

Question des étudiants :

Pourquoi écrivez-vous en français ?

Maïssa Bey : Je peux répondre avec la remarque de Rachi Boudjedra, « Ce n’est pas moi qui ai choisi la langue française, c’est elle qui m’a choisi ». Aujourd’hui, cette question est de plus en plus cruciale, on vous somme de choisir  entre la langue française et la langue arabe, ce qui entraîne aussi un choix de mode de vie. Le texte « L’une et l’autre » est une réponse à ce dilemme du « il faut choisir » (soit vous êtes arabo-musulman, soit vous êtes occidental). On essaye de vous définir l’une « contre » l’autre. Je suis le produit d’une histoire douloureuse, celle de la colonisation. Je ne peux pas renier la langue française car elle fait partie de mon identité. On s’enrichit de tout ce qui nous constitue.

Est-ce que le livre « L’une et l’autre » n’est pas une sorte de manifeste ?

D’une certaine façon « oui », car, quand on est en position d’accusé, on essaye de se défendre. On se sent obligé de se justifier, en attitude de défense, et on adopte même un ton de plaidoirie. On se définit souvent par exclusion et comparaison, ce qui n’a pas de raison d’être car on sent que cohabitent en nous deux mondes. Pourquoi seraient-ils opposés ?

Mes parents étaient, pour leur époque, différents de leur milieu : du côté arabe, je suis une descendante de paysans illettrés. Mais mon père était allé à l’école coloniale française et était devenu instituteur, ce qui, à cette époque, constituait une exception  (car 98% de ceux que l’on appelait les « indigènes » étaient illettrés). Quant à ma mère, elle était aussi une exception ; fille d’un cadi, elle était allée à l’école jusqu’à quatorze ans et donc savait lire, écrire et parler français.

Dans mon enfance, la cohabitation entre les deux mondes français et arabe était harmonieuse. Mais il m’a fallu ensuite intégrer le fait que j’étais différente ; à l’école, où j’étais la « première de la classe », on essayait de me faire comprendre que je n’avais pas le même statut que mes copines, qui, elles, portaient des noms français. Elles étaient françaises et donc appartenaient à une sorte de « race supérieure ». Cette différence était inacceptable pour moi.

Les étudiants en train d'écouter Maïssa Bey ; au deuxième rang à droite, Marie-Françoise Chitour, de l'Université de Galatasaray, et moi... (photo de Seda Kesova)

Les étudiants en train d'écouter Maïssa Bey ; au deuxième rang à droite, Marie-Françoise Chitour, de l'Université de Galatasaray, et moi... (photo de Seda Kesova)

Au sujet du livre « Entendez-vous dans nos montagnes »

Le titre du livre est issu d’un mélange entre un vers de La Marseillaise et un vers d’un chant patriotique algérien.

Au départ, ce livre n’était pas destiné à être publié car il contenait beaucoup de références à la mort de mon père. Or, je n’avais pas le courage d’affronter l’évocation de la scène de torture. Pour moi, c’était une sorte de « scène fondatrice » et je l’avais laissée dans « la chambre noire ». Par exemple, on m’avait offert le livre de Henri Alleg, « La Question », mais j’ai mis des années avant de pouvoir le lire. De toute façon, je ne décris pas les scènes  de torture.

J’avais commencé à écrire ce livre à la première personne, mais ce « je » m’impliquait trop. La liberté donnée par la fiction m’a permis d’avancer. Pour la publication, c’est mon éditrice qui a insisté pour que le texte soit édité.

Il y a parfois des lecteurs qui viennent me dire « J’ai fait mon service militaire en Algérie ». Cela m’a toujours causé un choc. Il y a toujours quelque chose qui se passe entre ce lecteur et moi. Plein de non-dits et de silences. C’est à partir de ces éléments que j’ai écrit ce texte. 

Photo-souvenir de cette belle journée... (photo Seda Kesova)

Photo-souvenir de cette belle journée... (photo Seda Kesova)

Au sujet de Pierre Sang papier ou Cendre

Les circonstances de l’écriture du livre ?

En 2005 a failli être votée en France une loi sur « les bienfaits de la colonisation ». De nombreux historiens français se sont dressés contre ce projet, qui a finalement été abrogé par Jacques Chirac. C’est le metteur en scène Jean-Marie Lejude qui m’a demandé d’écrire sur ce sujet en me disant : « Si tu écris ce texte, je le monte au théâtre ». J’ai mis deux ans à l’écrire, il fallait aussi revoir les circonstances historiques. Et il a été mis en scène au théâtre.

Le titre ?

Il s’agit d’un vers du fameux poème de Paul Eluard, « Liberté », écrit en 1942, pendant l’Occupation en France ; il y avait de ma part la volonté de comparer deux occupations ; vivre sous une occupation est insupportable.

Le personnage de « Madame Lafrance »

Il s’agit de la personnification d’un concept, « Madame la France » étant une expression employée en Algérie...

Que signifie la Méditerranée pour vous aujourd’hui ?

Elle fut un lieu de rencontre mais aujourd’hui, elle est un lieu de séparation, un mur plutôt qu’un lieu de réunion à cause de tous les migrants qui y perdent la vie ; elle se situe dans le prolongement de tous les murs que l’on a élevés au XX et XXI siècles. Elle est même devenue un cimetière.

Au sujet d’Assia Djebar

La lecture de son œuvre fut pour moi la véritable découverte. J’avais 13 ou 14 ans quand je l’ai lue pour la première fois. Quand on fait partie d’une famille traditionnelle où il est même interdit de prononcer le mot « amour », on ne peut qu’admirer cette femme qui « disait des choses », qui s’exprimait sur des sujets tabous. On en parlait dans les livres écrits par des Occidentaux mais le fait que ce soit une femme arabe qui écrive avec cette liberté était très important.

Au sujet de Camus…

Paradoxalement, ces grands auteurs m’auraient plutôt éloignée de l’écriture car ils étaient trop « grands » ; ils ont constitué un frein. Quand on lit les premières pages de Noces à Tipisa de Camus, on se dit qu’on ne pourra jamais plus rien ajouter après ça. Je me disais que Camus avait parlé de ce pays le mieux possible. Il s’est trompé dans ses idées mais il est allé jusqu’au bout de ses convictions et pour cela, on peut lui rendre hommage.

Vous avez écrit des poèmes ?

Si je devais définir mon amour de la littérature, je mettrais la poésie en haut. C’est grâce à mon professeur de français que j’ai découvert la poésie, Baudelaire, Rimbaud, Eluard. Quand on a des références pareilles, on ne peut plus écrire de poésie ; j’ai une trop grande admiration pour eux et cela me place en retrait ; j’écris des poèmes mais surtout pour moi. Mon mode d’expression est le roman.

Maïssa Bey, quel écrivain êtes-vous ?

J’ai commencé à écrire assez tard, à l’époque du terrorisme ; c’est l’écriture qui m’a sauvée. Je savais que je devais écrire pour mon père mais il fallait d’abord tracer un chemin d’écriture.

Je pense que le mot « écrivain » se suffit à lui-même. Je peux employer pour me définir le mot arabe « khatiba », celle qui écrit. Je n’ai pas écrit en tant que femme algérienne, féministe ; il se trouve que je suis une femme mais je n’avais pas a priori la volonté de ne parler que des femmes ; je veux surtout exprimer mon rapport au monde.

Votre nouveau roman, « Hizya »

Il va d’abord sortir en Algérie puis en France lors de la rentrée littéraire. Le point de départ est un poème populaire algérien de la fin du XIXe siècle : une très belle jeune fille est amoureuse de son cousin mais, les prétendants affluant, on veut la contraindre à se marier avec un homme très riche… Ce poème est un symbole de la culture algérienne. J’ai imaginé, dans mon roman, la vie d’une Hizya du XXI e siècle… 

Istanbul : l’écrivaine Maïssa Bey à l’Université de Galatasaray

Toutes nos félicitations et notre admiration à Maïssa Bey pour son œuvre ; nous attendons avec impatience la sortie du roman « Hizya »… Sur cette photo réalisée par l'étudiante Seda Kesova, Seza Yılancıoğlu et moi, avec Maïssa Bey...

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  • : Gisèle Durero-Koseoglu, écrivaine d’Istanbul
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  • La Trilogie d'Istanbul : Fenêtres d’Istanbul, Grimoire d’Istanbul, Secrets d’Istanbul. La Sultane Mahpéri, Mes Istamboulines, Janus Istanbul (avec Erol Köseoglu), Sultane Gurdju Soleil du Lion.
Contributions : Un roman turc de Claude Farrère, Le Jardin fermé, Un Drame à Constantinople...
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Livres de Gisèle Durero-Köseoglu

2003 : La Trilogie d’Istanbul I,  Fenêtres d’Istanbul.

2006 : La Trilogie d’Istanbul II, Grimoire d’Istanbul.

2009 : La Trilogie d’Istanbul II, Secrets d’Istanbul.

2004 : La Sultane Mahpéri, Dynasties de Turquie médiévale I.

2010 : Mes Istamboulines, Récits, essais, nouvelles.

2012 : Janus Istanbul, pièce de théâtre musical, livre et CD d’Erol Köseoglu.

2013 : Gisèle Durero-Köseoglu présente un roman turc de Claude Farrère,  L’Homme qui assassina, roman de Farrère et analyse.

2015 : Parution février: Sultane Gurdju Soleil du Lion, Dynasties de Turquie médiévale II.

 

 

 

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